QUELQUES TEMPÉRAMENTS DE CAVALIERS
Voici une typologie des cavaliers selon leurs motivations profondes réalisée par Bernard Chiris. A quel(s) type(s) de famille appartenez-vous ?
"Sans vouloir classer et enfermer à tout prix chacun dans une catégorie, ce qui est totalement réducteur de la personnalité et souvent arbitraire, on peut toutefois distinguer quelques grands types de cavaliers.
Ainsi, chacun pourra se rapprocher d'un type de comportement, appelé famille par commodité, et s'y reconnaître tout en repérant certains traits personnels dans d'autres.
Le cosaque
Si elle peut se montrer parfois excessive, la famille cosaque cherche avant tout l'adrénaline. Elle a besoin de sensations fortes, de côtoyer le danger, déborde d'énergie et d'impulsivité. L'exploit physique, la prouesse technique mettent à l'épreuve son courage et sa détermination.
On trouve dans cette première esquisse de famille essentiellement des cavaliers à la recherche de leurs limites, se situant dans la maîtrise de la situation, de l'animal, et qui pour s'imposer vont jusqu'au bout de ce qu'ils entreprennent. Bouger, réussir, c'est attester que l'on est vivant et éprouver la jubilation d'être parvenu à ses fins.
Pour se sentir exister, le cavalier a besoin d'être reconnu par l'autre... Il éprouve la nécessité impérieuse de convoquer le regard des autres pour avoir la confirmation qu'il est bien au centre. Savoir où il se situe est pour lui essentiel.
Pour ces cavaliers, il n'y a pas d'autres possibilités, d'autres issues que d'être en position de maîtrise, d'excellence. Soit ils sont au cœur de la situation, faisant ainsi converger tous les regards vers eux, ce qui les renforce dans leur attitude narcissique, soit ils se tiennent au-dessus des autres. Il est insupportable pour les "cosaques" de percevoir dans l'autre ce qu'ils ne peuvent accepter en eux. Ils le rejettent, car l'autre leur renvoie une image de faiblesse, de faille, qui les met face à leur manque à être fondamental.
Dans sa vie relationnelle, ce type de sujet a besoin de contrôler, de diriger, d'être en position de maîtriser la situation. Tous les moyens peuvent alors être utilisés...
Ou il gagne et il est confirmé dans sa valeur, ou il perd et n'est plus rien ! Et là, il peut s'agir d'un réel effondrement qui le renvoie à ses doutes narcissiques.
Le dompteur
Il se rencontre sur tous les lieux équestres. Il ne monte que des chevaux réputés difficiles, voire dangereux. Le cheval est pour lui un être imprévisible, une bête sauvage qu'il faut mater, dompter, le plus souvent par la force.
Les traits de la personnalité du dompteur, bien qu'appartenant au même groupe que ceux du cosaque, sont plus exacerbés. Il est prêt à tout pour que les autres admettent qu'il a quelque chose en plus, et reconnaissent son courage, sa témérité et sa force.
Il ne recherche pas le cheval comme partenaire. Il ne s'agit pas pour lui de le laisser s'exprimer, mais d'avoir toute la maîtrise sur lui. Il est celui qui a le pouvoir, la capacité d'ordonner et la soumission illusoire ou la révolte du cheval le conforte dans son mode d'organisation psychique. Ce type de fonctionnement se retrouve dans beaucoup de domaines de la vie.
Le sportif
Comme toute famille, la famille sportive est très diverse. Tous ses membres ont cependant en commun le goût de l'effort et de la compétition, la recherche de sensations puissantes, la volonté de se dépasser, de s'épanouir dans une saine adversité.
Les attitudes du cosaque, du dompteur et du sportif relèvent, semble-t-il, du même type de fonctionnement à ceci près que les traits sont plus ou moins marqués.
Le cavalier sportif occupe souvent des postes de commandement ou se trouve valorisé dans son travail. Son état de tension ne se réduit ou ne s'apaise qu'avec la performance. Le cavalier est alors rassuré sur ses capacités, en accord avec la représentation qu'il a de lui-même, son moi idéal. Il cherche à se dominer en tout, à ignorer la crainte et le doute.
Pour ces compétiteurs, seule la réussite ou la place de vainqueur est acceptable. Tous les moyens sont alors utilisés : enrênnements coercitifs, dopage, préparations et médications masquant les faiblesses du cheval... et du cavalier.
Mais, contrairement au dompteur, il ne lutte pas contre son cheval mais avec son cheval. La gamme des comportements est très étendue. Elle va de l'exploitation éhontée des capacités du cheval à la complicité la plus tendre.
L'indien
Emporté par l'air du temps, ou désireux de se ressourcer dans un monde de plus en plus urbanisé, il cherche le retour à la nature dont il ignore pratiquement tout. Le côté sauvage du cheval, animal libre par définition, le fait rêver. Il est à la recherche d'autres rapports avec le cheval.
Il rejette toute contrainte, monte éventuellement à cru et sans filet. Toute équitation qui se réclame de l'éthologie l'attire. A la recherche de repères, adepte de méthodes douces, nouvelles, il est prêt à suivre n'importe quel "gourou". L'indien rejette souvent la culture équestre, fruit de siècles de réflexion et de pratique, pour privilégier une équitation qu'il pense plus immédiate, plus naturelle, plus instinctive. La culture et les codes équestres ne peuvent pas être intégrés dans la mesure où ils empêchent, pour lui, de "faire un avec le cheval" et qu'ils introduisent une temporalité, une distance. L'indien est hors contrainte, hors frustration, dans la recherche du plaisir immédiat.
Pour accéder à cette harmonie, le cavalier va s'en donner les moyens, se montrer actif mais en restant plutôt dans la marge. Il va se ménager un espace où pourra être mise en acte cette idéalisation, ce retour à l'unité afin de préserver la paix. Romantique, il cherche à s'épanouir dans une relation idéale avec son cheval.
L'esthète
Il se classe dans la famille des artistes. Monter à cheval est pour lui un art, un sacerdoce dont il vénère les grands prêtres. Baigné dans la musique, dans le calme du manège, il communie avec son cheval. Sa bibliothèque est fournie, il se définit comme un étudiant en équitation, toujours prêt à s'enflammer dans de longues digressions sur l'art de dresser les chevaux.
Il se sent l'âme d'un maître et dispense volontiers son savoir, quand il ne cherche pas à l'imposer.
Son culte de la légèreté le pousse à rechercher la perfection dont il se sent, hélas, encore bien éloigné ! Mais la recherche de l'épanouissement de cheval est pour lui une source d'enrichissement personnel inépuisable.
Le chemin emprunté, la recherche du bonheur à cheval est pour lui ce qu'il y a de plus important. La fin ne justifie pas les moyens comme chez le cosaque, le dompteur ou chez certains sportifs.
L'ethnique
Sa passion équestre s'articule autour d'une civilisation, d'une philosophie, d'un art de vivre. Celui qui s'identifie au véritable cow-boy, à l'indien d'Amérique ou au cavalier ibérique choisira une race de chevaux bien déterminé.
Son choix est très fort, souvent exclusif. Il s'accompagne fréquemment d'un rejet pour les autres pratiques équestres. Il semble que pour ce type de cavalier ce qui domine, c'est la nécessité de s'ancrer, de trouver une place en appartenant à une famille, à une tribu qui comporte une structure, des signes distinctifs et une hiérarchie.
Le cavalier "ethnique", même si évidemment il partage quelques traits avec l'esthète, n'est pas tout à fait dans la même problématique. Il n'est pas dans la sublimation. Sa volonté d'appartenir à un groupe, d'être reconnu en tant que tel, va l'amener à être plus en prise avec la réalité au niveau des relations sociales. L'ethnique semble être plus au niveau d'un moi idéal que d'un idéal du moi cher à l'esthète.
Dans la pratique équestre de l'ethnique, il s'agirait plus d'une quête de reconnaissance d'appartenance au groupe, par la maîtrise des codes et du savoir-faire, que de la recherche de perfection et d'esthétique que l'on perçoit chez l'esthète.
Le mondain
Le club hippique est sa raison d'être. Il aime partager sa passion, à cheval certes, mais aussi autour d'un verre, au restaurant du club, autour d'un barbecue ou lors de soirées où il retrouve les autres membres de la tribu. La quête, la recherche du regard des autres, même s'il n'en a pas toujours conscience, est pour lui omniprésent.
Le cheval n'est pas réellement au centre des préoccupations du cavalier mondain ! Il lui permet de s'inscrire et de se définir dans un groupe déterminé. Il semble mobilisé, organisé autour de "l'image", plus préoccupé par ce qu'il donne à voir que d'équitation, dans un fonctionnement très narcissique.
Il ne peut qu'être actif, il faut qu'on le voie. il se situe un peu dans le "tout ou rien". Se mêler de tout, c'est aussi être dans l'ajustement permanent de façon que l'image qu'il représente soit toujours conforme, parfaite, sans faille.
La maman
Parfois seule, ou se sentant seule, souvent sans enfants ou ayant fini d'élever ses enfants, la maman déborde d'affection pour le cheval, tous les chevaux, quelles que soient leurs caractéristiques. Elle entoure, dorlote, soigne, s'inquiète de tout. Toujours prête à aider les autres à soigner leur cheval, elle n'admet pas qu'un cheval puisse être délaissé, monté avec dureté ou brutalité. Si elle monte, c'est avant tout pour le bien-être de son compagnon. Elle y trouve son bonheur.
Ces cavalières s'investissent beaucoup dans une relation affective très maternante avec le cheval. Nous pouvons supposer qu'il s'agit de sujets dont les blessures, provoquées par des carences dans la relation avec la mère dans la petite enfance, ont entraîné des doutes narcissiques. Ses doutes l'entravent dans les relations avec les autres. La maman n'est pas dans l'affirmation de soi, comme le cosaque ou le sportif, mais plutôt dans une sorte d'abnégation d'elle-même en se dévouant, en se consacrant aux autres.
D'une certaine façon, par projection, elle est plutôt attirée par les chevaux laissés pour compte, abandonnés, maltraités ou âgés. En résumé, ces chevaux ont besoin d'elle.
CONCLUSION
Nous pourrions bien-sûr définir d'autres types de tempéraments, apporter mille nuances. L'histoire et le vécu de chaque cavalier sont particuliers, les différences d'un individu à l'autre importantes, même à l'intérieur d'un même groupe.
Chacun pourra se reconnaître dans certains traits, se différencier par d'autres, se retrouver dans plusieurs familles à la fois ou successivement en fonction de son évolution.
Chaque cavalier trouve donc un type de pratique, un rapport au cheval et aux autres qui nourrit ses besoins profonds et permet à sa personnalité de s'exprimer selon son caractère et ses aptitudes. Il doit néanmoins se pencher sur son comportement, s'interroger sur ce que cela mobilise en lui, afin de prendre conscience des postures ou des blessures psychologiques qui entravent son développement et son épanouissement, et de tenter de s'en libérer."
Bernard Chiris et Monica Barbier, S'épanouir à cheval, Belin, 2011