Malgré le fait que les cavaliers sont de plus en plus sensibilisés à l'importance d'une selle "qui va", y a un truc qu'ils n'ont pas forcément bien pigé, c'est "où c'est donc qu'on selle le ch'val ?"

De fait, il m'est déjà arrivé plusieurs fois de répondre à l'appel de clients désespérés, parce qu'ils avaient une selle faite sur mesure pour Tornado XVIII, et que la selle ne restait pas à sa place, et que de fait, c'est sûr, Jean-Bidule les a arnaqué, c'est un scandale, etc etc. Donc je me pointe, je checke le matos, et si pas d'incohénrence, là c'est quasi sûr : "sellez votre cheval Madame Michu s'il vous plaît" et BIM! la selle sur le garrot, avec un amortisseur "parce que le garrot est fragile" et un collier de chasse "parce que la selle recule". Bingo, un cheval verrouillé de l'avant, un !

Tu me diras, à 50€ la consultation pour une histoire de 10cm plus en arrière, mon boulot peut vite devenir rentable. Mais en soi ça me fait pas plaisir pour autant, parce que c'est pas à moi d'apprendre aux gens à seller correctement, c'est aux moniteurs, c'est au programme du galop 1. Non je ne dirai rien sur la FFE non je ne dirai rien sur la FFE non...

Bref.

Le grand mal du siècle, la selle sur le garrot.

Il faut savoir que dans la locomotion du cheval, le garrot est une zone clé. Patrice Franchet d'Esperey, sur son blog, explique bien le rôle du garrot, c'est très intéressant, bien fait et pédagogique.

Conséquences d'une selle placée trop en avant

1. l'arcade rigide de l'arçon bloque le mouvement de bascule des omoplates. Conséquence : l'amplitude des antérieurs est restreinte.
2. la sangle, collée derrière les antérieurs, empêche le jeu des pectoraux ascendants et donc l'avancée des antérieurs (cf ici). Conséquence : comme au-dessus.
3. le garrot est verrouillé. Si vous avez lu religieusement l'article de PFE en lien, vous comprenez les implications. Si vous ne l'avez pas lu, allez le lire. Puis tirez-en les conclusions qui s'imposent.
4. le cavalier n'est pas centré sur sa selle. Son poids se retrouve balancé vers l'arrière, vers le troussequin, créant des points de pression au niveau des longs dorsaux. Il se retrouve à lutter pour garder son équilibre, et n'est pas à l'aise, donc gêne le cheval. En plus, le cheval porte environ les 2/3 de son poids sur l'avant-main. Le cavalier, trop en avant, lui rajoute de la charge. Et pourtant le but de l'équitation, c'est d'alléger le cheval devant pour reporter le poids derrière, et engager l'arrière-main, non?
5. les longs dorsaux sont des muscles locomoteurs (et non des muscles porteurs, comme on le croit à tort), dont le rôle est de transmettre l'énergie des postérieurs vers les antérieurs. Comme ils sont bloqués par le poids du cavalier, l'énergie ne peut pas circuler, on dit que le cheval n'a pas d'impulsion, il se tracte avec les antérieurs. Or ses antérieurs sont aussi bloqués (cf ci-dessus).
6. on force quand même le cheval à aller de l'avant. Comme il force, il se fait mal. Soit il réagit et est catalogué comme difficile ou vicieux, soit il ne dit rien et subit en silence, son mental et son physique se détériorant rapidement.
7. Et c'est parti pour la spirale infernale : ostéo, véto, infiltrations du dos, boiteries, tendinites, échographies, radios, arrêt du cheval, vente du cheval, Findus.

 

Tout ça à cause d'une selle mal placée.

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Alors, certains selliers un peu futés récupèrent ce problème d'éducation des gens pour dire "moi j'ai conçu une selle qui recule le centre de gravité du cavalier, donc le cheval est mieux qu'avec une selle classique". Oui mais en fait non. C'est un vrai-faux argument. Parce qu'une selle adaptée et bien positionnée, qu'elle soit de dressage, de CSO, de randonnée ou western, placera le centre de gravité à sa place. Donc c'est juste de la mauvaise foi, et une touche de malice qui profite de l'ignorance du consommateur, et ça, c'est pas bien.

Bon, maintenant que j'ai bien crié au loup, où c'est-y donc qu'on la met, la selle?

 

Où placer la selle, et son impact sur la structure du dos?

Avant tout, il faut savoir comment est fait le dos d'un cheval, et comment la selle interagit avec lui. La selle repose sur la cage thoracique et les muscles dorsaux. P1030772Règle n°1, qui ne doit jamais être transgressée : la selle ne doit pas toucher la colonne vertébrale. La colonne vertébrale est une structure très complexe, faite d'os, de nerfs et de ligaments, qui peut être facilement blessée. L'incurvation latérale et la flexion longitudinale existent, même si elles peuvent apparaître minimes. La selle doit donc laisser de la place pour que ces mouvements s'effectuent, c'est pourquoi une selle est équipée d'une gouttière. Sa largeur et sa profondeur dépendent de la conformation du dos. Sur un dos osseux et étroit, elle devra être plutôt profonde. Sur un dos large et plat, elle devra être moins profonde, mais plus large. A mon sens, elle doit faire au moins 4 doigts de large (entre 8 et 10cm).

A l'avant de la selle, deux zones doivent être dégagées. En premier lieu, le garrot : tout le monde sait à quel point c'est facile de trouver des plaies de harnachement à cet endroit, et à quel point c'est long à guérir (les plaies peuvent être causées par la selle, mais également par le tapis de selle ou la couverture). La selle doit laisser la place pour passer 3 doigts entre le sommet du garrot et le pommeau (environ 5 6 cm) et deux doigts de chaque côté. A moins de 3 doigts entre le garrot et le pommeau, la selle est probablement trop large et bascule vers l'avant. Plus de 3 doigts, il est probable qu'elle soit trop étroite, et a l'air d'être perchée sur le dos au lieu d'en épouser les contours. Ces notions sont théoriques et doivent être modérées en fonction de la morphologie du cheval : ainsi sur un garrot noyé, on peut parfois passer 4 ou 5 doigts, et la selle sera pourtant adaptée. Ce que l'on veut éviter, c'est une selle qui appuie sur le haut du garrot, ou dont les pointes de l'arçon compriment les trapèzes. En deuxième instance, l'omoplate. Quand le cheval lève un antérieur, l'omoplate a un mouvement de rotation vers l'arrière. Si la selle est placée trop en avant, elle bloque ce mouvement et engendre des allures étriquées et un équilibre détériorié. La selle devra être placée 2 à 3 doigts derrière le haut de l'omoplate, à moduler en fonction de l'amplitude du mouvement de l'antérieur et de la construction de l'épaule (plutôt droite ou oblique). Sur certains chevaux, le recul est parfois très important : dans ce cas, il faut faire ajuster le panneau de sorte à ce que la tête de la scapula puisse se mouvoir librement.

A l'arrière de la selle, le cavalier doit se soucier de la région des reins et des vertèbres lombaires. La selle ne doit pas être trop longue, et ne doit pas dépasser la dernière paire de côtes. La forme de l'arrière des panneaux doit être conforme à la forme du dos du cheval : on n'utilise pas le même type de panneaux sur un dos plat que sur un cheval fait en descendant, avec la croupe plus haute que le garrot.